• Par Jacques JULLIARD - historien journaliste

    1. Nous vivons un nouvel âge du capitalisme. Après l'ère des managers, voici venue celle des actionnaires. Les détenteurs du capital, longtemps silencieux, ont mis au pas les gestionnaires, qui s'appuyaient sur leur expertise technique. Les seconds pouvaient avoir le sens de l'intérêt général ; ils s'accommodaient de certaines formes de régulation et négociaient avec les syndicats la répartition de la plus-value. Les actionnaires, au contraire, se désintéressent de l'objet même de leur investissement ; ils réclament des profits immédiats et énormes, jusqu'à 15% du capital investi. C'est pourquoi ce nouveau capitalisme consacre le triomphe de l'hyperlibéralisme. Il est de nature essentiellement financière et bancaire, le plus souvent déconnecté de l'économie réelle. Il est donc avant tout spéculatif. Il est à l'origine de la crise mondiale que nous traversons.

    2. Ainsi le nouveau capitalisme a choisi de ressusciter son pouvoir de classe dans sa nudité. Il s'est installé à la faveur de l'effondrement des régimes communistes. Sans concurrence ni contestation, il a pu imposer ses exigences sans en craindre des conséquences politiques et sociales. Il a multiplié les licenciements spéculatifs, les délocalisations, sans redouter les réactions exclusivement défensives de la classe ouvrière. Il a éliminé toute concertation globale, tant avec l'Etat qu'avec les syndicats. Dans le domaine bancaire, il s'est lancé dans une fuite en avant sans précédent, multipliant les spéculations risquées et inventant des produits financiers dérivés sans contrepartie économique réelle. Sans égard pour les situations sociales souvent dramatiques qu'il suscitait, il a fait sauter le vernis de civilisation qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, recouvrait le capitalisme évolué.

    3. C'est à la faveur de la mondialisation de l'économie qu'un grand coup de force intellectuel et social a pu être exécuté sans coup férir. Le capitalisme financier a su tirer parti de l'ouverture des marchés émergents, mettre en concurrence les travailleurs à l'échelle internationale pour faire pression sur les salaires. Il s'est imposé comme la seule hyperpuissance à l'échelle planétaire, au détriment des Etats.

    4. La déréglementation de la production, des marchés et des services, dont Ronald Reagan, Margaret Thatcher et George W. Bush ont été les agents les plus actifs, n'a pas tardé à produire ses effets néfastes, rendus visibles par la crise financière commencée en 2008. En dépit des vœux de l'opinion publique, des experts et d'une partie de la classe politique, le néocapitalisme continue de s'opposer victorieusement à tout retour de la réglementation. Les G7, G8, G20 en ont été pour leur frais. Jamais la domination du secteur financier sur le secteur industriel, et du secteur économique sur le secteur politique et diplomatique, ne s'était affirmée avec une telle arrogance, malgré le discrédit des acteurs.

    5. Dans les grands pays industriels, la financiarisation de l'économie s'est accompagnée d'une désindustrialisation délibérée et de la destruction d'emplois par millions. Désormais, le plein-emploi n'est plus recherché comme un objet de l'activité économique ; le chômage est devenu structurel ; le néocapitalisme s'est reconstitué une armée industrielle de réserve.

    6. Le néocapitalisme a retrouvé ses instincts prédateurs longtemps endormis dans la recherche de la paix sociale. Les dirigeants des grandes entreprises partagent désormais la mentalité des actionnaires. Il s'agit pour eux de se vendre le plus cher possible et d'accumuler en quelques années, parfois en quelques mois, des fortunes colossales. La rémunération des dirigeants, longtemps marginale dans le chiffre d'affaire des entreprises, est devenue un poste considérable. L'explosion des bonus, parachutes, primes, indemnités de toutes sortes a décuplé en une vingtaine d'années. Le continuum des rémunérations a fait place à une société de corps séparés et de privilèges, telle qu'elle existait en France à la fin de l'Ancien Régime.

    7. Privés de toute perspective d'avenir, de tout projet positif, les syndicats se sont repliés sur une posture purement défensive de préservation de l'emploi et des rémunérations. Les grandes entreprises ont éliminé toute concertation globale et, dans le meilleur des cas, regardent les syndicats comme des auxiliaires utiles dans le maintien de l'ordre social. En perte de vitesse auprès de leurs adhérents, ceux-ci se trouvent marginalisés dans le nouvel ordre économique. Nous vivons un véritable réensauvagement des rapports sociaux.

    8. L'Europe, qui, à cause des positions de ses deux nations de tête, l'Allemagne et la France, aurait dû jouer un rôle de contrepoids aux tendances hyperlibérales du capitalisme anglo-saxon, a failli complètement, au chapitre économique comme au chapitre politique. Conduite par des politiciens médiocres et sans vision, elle s'est faite l'instrument docile des tendances les plus dérégulatrices du capitalisme international. Cette véritable forfaiture explique le discrédit qui la frappe dans les classes populaires de tous les pays membres.

    9. A l'échelon politique national, la deuxième gauche, qui s'était donné pour mission la modernisation économique et culturelle de la France, grâce à la participation de la société civile à la décision politique, représente une voie désormais dépassée. Elle reposait sur la notion de compromis social, c'est-à-dire la négociation entre les principaux partenaires économiques. Cette voie contractuelle a été délibérément bafouée par le néocapitalisme qui, assuré de la victoire, a préféré l'affrontement. C'est la fin de l'idéal d'une société policée, soucieuse d'affermir le lien social. Quelques-uns des membres les plus éminents de la deuxième gauche se sont fait les auxiliaires du pouvoir sarkozien : c'est dire l'étendue de leur renoncement et de leur faillite.

    10. Le risque actuel, c'est un nouveau populisme. Le prolongement de la crise, désormais probable, notamment sous la forme du chômage, crée un trouble politique profond. A la différence de celle de 1929, où la faillite du libéralisme conduisait la droite à envisager des solutions fascistes et la gauche des solutions communistes, le monde politique est aujourd'hui muet. Il en va de même des intellectuels chez qui les droits de l'homme et l'écologie constituent des religions substitutives de salut. L'absence de solution politique favorise le développement de dérives psychologiques : l'envie, la haine de l'autre, le culte du chef, la recherche du bouc émissaire, le culte de l'opinion publique à l'état brut représentent autant de succédanés au vide politique béant de la période.

    11. Les droits de l'homme ne sont pas une politique. Ils sont un problème ; non une solution. Ils sont une exigence nouvelle de la conscience internationale ; mais ils tardent à se concrétiser dans un mouvement politique cohérent. D'autant plus que l'alliance traditionnelle entre le libéralisme économique et le libéralisme politique est en train de se déliter. La Chine donne l'exemple inédit d'un grand marché libéral gouverné par une dictature politique intransigeante. La bataille pour les droits de l'homme est de tous les instants ; mais elle a besoin de s'inventer dans une politique internationale nouvelle.

    12. L'écologie n'est pas une politique. Pour le système industriel, la défense de l'environnement n'est pas à l'échelle macroéconomique une solution à la crise et au chômage, mais une contrainte supplémentaire. Pas plus que l'informatique hier, elle ne saurait répondre aux problèmes posés par la financiarisation de l'économie et l'absence de régulation à l'échelle internationale. Elle tend à rendre plus coûteuse et plus difficile la relance économique nécessaire pour donner du pain et du travail aux habitants de la planète. L'écologie demeure bien entendu une préoccupation nécessaire ; une ardente obligation économique et sociale, non le prétexte à des opérations politiciennes.

    13. La révolution n'est pas une politique. Aussi longtemps que le socialisme centralisé n'aura pas apporté la preuve qu'il pouvait changer le modèle de développement sans attenter aux libertés civiques, il restera inacceptable, et du reste inaccepté par les citoyens. Le piétinement des partis révolutionnaires, incapables de trouver une base de masse dans les milieux populaires, en fait l'expression de la mauvaise conscience, voire de la conscience mystifiée des nouvelles classes moyennes. Ils sont l'une des formes principales, insuffisamment soulignées, de la démobilisation de l'électorat de gauche. Face au néocapitalisme, le gauchisme ancien n'a strictement rien à dire.

    14. Pour autant, l'antisarkozysme ne saurait être une solution. Le sarkozysme est un étrange corps mou et caoutchouteux. Elu sur une campagne hyperlibérale, Nicolas Sarkozy s'est retrouvé sur des positions dirigistes deux ans plus tard. Favorable à un rapprochement avec l'Angleterre, il a fini comme ses prédécesseurs par privilégier l'alliance avec l'Allemagne. «Américain» au temps de George W. Bush, il a fini par incarner les velléités de résistance européenne à l'hégémonie américaine. Son évolution actuelle, qui n'est pas sans rappeler le bonapartisme de Napoléon III, en fait une silhouette mouvante et une cible illusoire.

    15. L'alliance exclusive avec le centre ne saurait être une solution. Le programme d'un regroupement centriste ne serait guère différent des pratiques politiques de Nicolas Sarkozy depuis le déclenchement de la crise économique : ce serait celui de l'aile éclairée du néocapitalisme, sans influence sur le cours des événements. Sa base sociale se révélerait vite des plus étroites. Sa cohérence ne résisterait pas à l'exercice du pouvoir. Pour autant, l'évolution d'une grande partie de l'électorat centriste doit être prise en compte. Pour des raisons politiques, sociales, mais aussi culturelles, il est en train de se détacher du principe jusqu'ici immuable de l'alliance à droite.

    16. Pour les mêmes raisons, la gauche ne saurait être représentée, lors de l'élection présidentielle, par un représentant de l'establishment financier. L'élection d'un tel candidat, incapable d'établir un rapport de forces avec les représentants du milieu dont il serait issu, conduirait aux mêmes impasses et aux mêmes désillusions que l'alliance centriste. Le candidat de la gauche doit être porteur d'une solution alternative.

    17. L'avenir est à un grand rassemblement populaire, ouvert à toutes les forces hostiles au néocapitalisme, du centrisme à l'extrême gauche, décidé à installer un nouveau rapport de forces au sein de la société. Au fur et à mesure que la crise développera ses effets, la nécessité d'un tel rassemblement s'imposera davantage. Elle ne pourra se réaliser uniquement à partir de combinaisons d'appareils ; c'est la société qui doit l'imposer à ceux-ci. La nature de ce rassemblement sera évidemment d'essence réformiste et se pensera au sein de l'économie de marché. L'avenir est à une social-démocratie de combat.

    18. Le facteur déclenchant pourrait être la constitution d'un bloc syndical, doté d'un programme d'urgence, dont la CGT et la CFDT doivent prendre l'initiative. Les clivages syndicaux actuels sont des héritages de la guerre froide, que seule la tendance des appareils à se reproduire à l'identique continue d'imposer. A défaut d'une unité organique qui est l'objectif à moyen terme, un pacte d'unité d'action s'impose. Il ne devrait pas se limiter à des objectifs purement défensifs, mais ambitionner, comme à la Libération, une réforme en profondeur des structures financières et économiques du pays. Ce nouveau bloc devra envisager la coordination de son action à l'échelle internationale, et d'abord européenne.

    19. Le premier objectif du rassemblement populaire doit être la maîtrise du crédit, au moyen de la nationalisation, au moins partielle, du système bancaire, qui est à la source de la crise actuelle. Telles qu'elles fonctionnent actuellement, la plupart des banques ont déserté leur mission essentielle, à savoir la collecte des capitaux au service de l'expansion économique, au profit d'activités purement spéculatives et nuisibles. Le but de la nationalisation est de ramener le système bancaire à sa fonction productive.

    20. La destruction de toute forme de planification indicative et de toute politique industrielle, en un mot de toute espèce de régulation, est l'une des causes principales des dérives que nous connaissons aujourd'hui. La nécessité de rétablir une régulation économique respectueuse du marché est aujourd'hui comprise de tous. Seuls manquent pour le moment la volonté politique et les moyens de l'exercer. Il appartient à un rassemblement démocratique de les faire apparaître.


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  •  par Aquilino Morelle

    Aquilino Morelle, professeur de science politique, ancien conseiller de Lionel Jospin et membre du comité de rédaction de nonfiction.fr, publie aujourd'hui dans Libération son opinion sur l'avenir de la gauche dans un article intitulé 'La gauche et la fatigue d'être soi', à la suite de Jacques Julliard, Luc Ferry et Marcel Gauchet. Nous le reproduisons ici.

    " C'est avec un sourire aux lèvres narquois que certains ont pu lire la récente tribune de Jacques Julliard (Libération du 18 janvier) et s'amuser de ce qui a pu leur paraître un acte de contrition. Une telle ironie serait injuste et infondée. Injuste, car à l'heure où tant d'intellectuels « de gauche » sont résignés, vaincus ou convaincus par la doxa libérale, ce texte d'une figure historique de la « deuxième gauche » représente un effort de lucidité et un acte de résistance salutaires. Infondée, car si la deuxième gauche doit procéder à son examen de conscience, notamment quant à sa propension à faire la leçon, c'est bien de l'identité de la gauche tout entière qu'il est question. Il n'y a qu'une seule trajectoire politique : celle de la gauche. Le retour sur les trois marqueurs politiques, réels ou supposés, de cette « deuxième gauche » le montre bien.


    Une « gauche du réel » ? La deuxième gauche s'était arrogé un premier titre de noblesse : le réalisme. Etrange prétention : le réalisme est la démarche même de la politique, de toute politique. Sans analyse ni compréhension du réel, pas de politique ; et pas de politique non plus sans la volonté tenace de changer ce réel. Le réalisme n'est pas la soumission au réel. A gauche, le réalisme impose l'audace, la crétaivité, la liberté d'analyse, le courage dans les propositions, suppose la volonté de transformer la société, propose la vision d'un progrès collectif et partagé. Pour le dire autrement, le réalisme, pour la gauche, impose l'utopie. « L'utopie ne signifie pas l'irréalisable, mais l'irréalisé », nous a appris Théodore Monod. Le « devoir de grisaille » que revendiquait Michel Rocard dans sa déclaration de politique générale doit être équilibré par un devoir d'utopie. L'utopie doit être la boussole de la gauche. Sans utopie, la gauche étouffe. Articuler utopie et réalisme, c'est le seul moyen pour la gauche de dessiner la « solution alternative » qu'à juste titre Jacques Julliard appelle de ses vœux, d'être écoutée et entendue des citoyens, de gagner leur confiance et les élections. C'est aussi le seul moyen de gouverner loyalement, honnêtement, utilement. Gouverner et non gérer. Trop souvent, la gauche s'est engluée dans une fascination gestionnaire qui a fini par l'immobiliser dans le conformisme et stériliser son action.


    Une gauche « moderne » ? Pendant trente ans, l'air du temps fut libéral et la deuxième gauche s'est voulue « moderne », sans voir l'impasse libérale dans laquelle elle entraînait toute la gauche. Cette course à la « modernité » nous a conduits à un alignement sur la doctrine conservatrice. Le kéynesianisme ? Dépassé. L'Etat ? Un problème, toujours. La nationalisation ? Jamais, plus jamais. La privatisation ? Souvent, sans en mesurer les dangers et les dérives. Les services publics ? A moderniser, forcément à moderniser. La mondialisation ? Heureuse. Même fuite en avant dans le champ politique. La République ? Ringarde. L'égalité ? Evacuée et remplacée par l'équité. La laïcité ? Fatigante à défendre, on lui préfère la tolérance. La Nation ? Dangereuse par nature (« le nationalisme, c'est la guerre ») et, de toute façon, caduque (« la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir »). Mais être moderne, ce n'est pas s'agenouiller devant l'idéologie dominante du moment. Etre moderne, c'est aussi rester fidèle à ses valeurs et à ses principes. N'est pas moderne qui veut, qui le proclame à longueur d'éditorial ; n'est pas forcément moderne le contemporain.

     Une gauche « morale » ? Avec Julliard, on peut voir dans la collusion avec l'establishment financier, politique et médiatique une forme d'immoralité et un piège dans lequel la seconde gauche est souvent tombée- avec délices pour certains de ses hérauts. La vraie immoralité, pour la gauche toute entière, a été d'accepter la coupure avec les classes populaires. La « désinflation compétitive » qui provoqua la montée du chômage de masse, l'abdication de sa responsabilité- « contre le chômage, on a tout essayé »-, sa résignation devant l'explosion des inégalités sociales et sa faiblesse devant l'impudence de ceux qui tentaient de justifier l'injustifiable : telles furent les principales étapes de cette coupure.
    Au cœur de ce mouvement historique : l'Europe. Face aux difficultés de l'action, une large part de la gauche a abandonné  le socialisme pour lui substituer un credo européiste. Or, si le socialisme du XXIe siècle ne peut se définir et agir qu'au niveau de l'Europe, l'Europe telle qu'elle a été pensée et conçue dès le 1957 et telle qu'elle existe désormais est de nature libérale : son code génétique est inscrit dans le traité de Rome et il est libéral. L'« Europe sociale » n'est qu'un slogan de campagne et restera une illusion tant que les fondements politiques et juridiques actuels de l'Europe n'auront pas été changés. Quant à l'indispensable régulation du capitalisme et à la maîtrise de la mondialisation, comment même les imaginer sans une Europe différente ?
    L'idée socialiste doit rester vivante, doit être défendue et non évacuée. L'exigence que porte cette idée, cette exigence de transformation réelle des conditions de vie et de propulsion dans l'avenir, est certes très difficile à satisfaire. Nombreux sont ainsi ceux qui se contentent avec soulagement d'un réformisme tiède, insipide, mais « de gauche ». Il y a une « fatigue d'être soi » propre aux socialistes. Mais sans cette exigence, plus rien n'a de sens. C'est cette exigence que vient de retrouver Jacques Julliard. Tant mieux. Il n'y a jamais assez de talents pour construire la « social-démocratie de combat » à laquelle- c'est sa conviction et je la partage- appartient l'avenir. A ce propos, cher Jacques Julliard, la « social-démocratie de combat » porte un beau nom, inscrit dans l'histoire : le socialisme. ".

     Libération, le 27 janvier 2010


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  • Régis DEBRAY

    Haïti et la France

    rapport à Dominique de Villepin

    édition laTable ronde - mars 2004

    " Quand le signataire d'un rapport officiel est Régis Debray, on n'encourt pas le risque de subir un patois énarchique : le texte est d'un écrivain, ce qui le distingue de toute prose administrative. La sensibilité  et le style du destinataire, Dominique de Villepin, le distinguent pareillement de ses pairs. Voilà deux raisons qui suffiraient à en justifier la parution dans une maison d'édition rien moins qu'officielle. Il en est une troisième, plus impérieuse : il s'agit d'Haïti, pays francophone, dont le peuple martyr mérite toute notre sollicitude".


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  • Le jospinisme, la maladie gériatrique du socialisme

    par Gaël Brustier
    Chercheur en science politique

    D'aucuns reprocheront à Lionel Jospin de tenir le même discours depuis 2002. Ils auront tort. Lionel Jospin n'a pas changé depuis 1983 ! Metteur en scène de l'autocritique de sa propre défaite en 2002, il offre aux Français le seul regard qui lui semble légitime : le sien. Dans cette Église qu'est le PS, l'abbé Jospin, las d'en avoir été le principal docteur de la foi, souhaite depuis sept ans revêtir les habits du martyr. Son bilan était bon, c'est sa « perception » par les Français qui ne l'était pas. De l'inconvénient de gouverner la France, ce pays d'impies !

    Rien de neuf en réalité, car l'enthousiasme pincé du camarade Jospin pour son « bon bilan » de 2002 fait irrésistiblement penser à celui manifesté à la tribune du Congrès de Bourg-en-Bresse en 1983. A l'époque, théoricien de la « parenthèse libérale », le Premier Secrétaire, empressé qu'il était de justifier le tournant libéral de l'action gouvernementale, concluait les débat en exigeant de ses camarades, « un Parti plus unanime pour l'appuyer ».

    A partir de 1983, le PS devenait un parti « campé aux côtés du gouvernement », c'est-à-dire faisant siennes les contraintes qui pesaient sur l'action gouvernementale et cessant de facto d'exercer les fonctions d'un parti socialiste. Le PS, arrivé au pouvoir, voyait ses cadres se lover dans l'appareil d'Etat et bientôt ses anciens experts et ses hauts-fonctionnaires se ruer dans le secteur privé. La réussite sociale d'une génération remplaçait l'accomplissement du socialisme en France.

    Pour agrémenter « idéologiquement » le quotidien, le PS se dotait de fausses consciences chargées de se substituer à l'idéal socialiste et à la « rupture avec le capitalisme » : « Europe sociale » et « antiracisme » devenaient les vasodilatateurs d'un Parti à l'encéphalogramme plat chargés de donner brièvement l'illusion de la maîtrise des choses alors que les « vents dominants » l'emportaient vers les rives du Potomac et l'Amérique reaganienne.

    « Rien n'a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste ! »

    Dans l'histoire du socialisme français, le jospinisme n'est pas un épiphénomène ou une incongruité historique, il est autant le produit des contraintes qui ont réellement pesé sur l'action des socialistes en 1983 que cette absence de volonté des socialistes que l'on pourrait définir comme le souhait de ne point penser le monde de peur que la raison ébranle ce à quoi ils sont souvent le plus attachés : le raisonnable. En conséquence, rien n'a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste !

    Pas une idée neuve, pas une analyse novatrice, pas un poste électif qui n'ait échappé à l'appétit prédateur d'une caste qui s'est peu à peu substituée aux militants. Pour penser, aujourd'hui, le socialisme, on doit se réfugier en dehors du Parti Socialiste, voilà la conclusion - à notre sens erronée - de beaucoup. Lucile Schmid, vice-présidente démissionnaire du Laboratoire des idées socialiste, a rappelé récemment qu'on a opposé à sa candidature aux élections régionales le fait qu'elle serait une « intellectuelle ». Triste bilan !

    Ce qui manque à la Gauche, au PS comme à ses « alliés », c'est la volonté de quitter enfin les années 1980 et de faire un retour vers le présent sinon vers le futur. Période de réussites individuelles hors du commun, ces années ont aussi été celles d'une glaciation idéologique de la social-démocratie et de la gauche française dans son ensemble et de l'emprise croissante d'une caste social-libérale sur le destin de la gauche.

    Aujourd'hui, penser la globalisation financière, la nouvelle géopolitique mondiale et la géographie sociale française, c'est penser les fameuses contraintes que le PS met si peu d'énergie à vouloir desserrer. Pour bâtir un projet progressiste face aux droites européennes, nous devons penser l'alliance de l'idéal égalitaire et de la protection de la planète. Voilà des pistes pour sortir le camp progressiste de l'ornière. Cela passe aussi par un réveil militant !

    Nous n'avions pas cinq ans au moment du Congrès de Bourg-en-Bresse de 1983, pourtant l'histoire nous a enseigné que, comme après 1920, comme après 1945, comme après 1969, la « vieille maison » pouvait être un des lieux d'élaboration d'une alternative politique et sociale. Il est temps qu'après les Français en 2002, les socialistes remercient définitivement cette fois le camarade Jospin. Aidons-les !

    Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin sont membres du Parti Socialiste, auteurs de Recherche le peuple désespérément, Bourin Editeur, 2009. Mickaël Vallet est Maire (PS) de Marennes (17).


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  •  Réaction de Jean-Pierre Chevènement au décès de Philippe Séguin

    J'apprends avec beaucoup de peine le décès de Philippe Séguin. C'était un homme politique de grand talent, un orateur hors pair, un républicain et un patriote.

    Il a symbolisé au moment du traité de Maastricht un projet et un destin républicains dans lequel la France aurait mieux trouvé son compte. Son mérite est d'avoir essayé. J'avais voté l'exception d'irrecevabilité qu'il avait présentée devant l'Assemblée nationale. Je regrette que rien n'ait été possible entre les républicains des deux rives.

    Depuis son retrait de la vie politique, Philippe Séguin a manqué à la France, il lui manquera hélas toujours.

    Voir aussi l'interview de Jean-Pierre Chevènement au Sénat ,suite au décès de Philippe Seguin, sur son blog : http://www.chevenement.fr


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